Au Togo, le payement de l’impôt par les citoyens n’est pas totalement encré dans les habitudes. Pourquoi est-ce nécessaire de payer l’impôt ? Quelle est sa finalité ?
Nous sommes à l’Office Togolais des Recettes (Otr), agence d’Adidogomé, il est 8h 30. A l’entrée l’ambiance est palpable, nous rencontrons Kadena Esther, assistance comptable au cabinet NK service venue accomplir un devoir civique : payer l’impôt.
Selon la jeune dame, il est très important pour tout citoyen de respecter cette obligation. « C’est grâce à ces impôts que l’Etat construit nos routes et autres infrastructures et je trouve cela correcte que les citoyens payent leurs impôts », recommande-t-elle.
Non loin de la jeune dame, nous croisons Alon Essodom, responsable de l’entreprise EDTBI, Prestataire de services informatiques, à un guichet qui va dans le même sens. Il est accompagné de son assistant. Il nous révèle qu’il vient de verser une somme de 30.000 FCFA comme impôt.
« Mon entreprise a décidé de payer les impôts parce que l’Etat vit à base du contribuable et vu que nous offrons des services, nous sommes censés reverser l’impôt. Et c’est ce que nous faisons chaque année. Nous payons entre 30000 FCFA et 35000 FCFA par an », souligne le responsable de l’entreprise EDTBI.
Quant à son assistant de renchérir : « nous, on est dans la logique du civisme fiscale qui nous oblige à être de bons citoyens et être à jour avec l’Otr. Si nous voulons de grandes réalisations dans notre pays, je crois que nous devons payer nos impôts. L’illégalité ne fait avancer personne, ni l’Etat, ni les citoyens. Quand vous ne faites pas vos déclarations et vous êtes dans ce qu’on peut appeler la clandestinité fiscale, ce n’est pas une bonne chose ».
Contrairement à ces citoyens qui ont compris la nécessité de payer leurs impôts, certains refusent malheureusement de le faire. Cela va du boutiquier du quartier au chef d’entreprise en passant par les propriétaires fonciers, les professions libérales etc.
Du non payement de l’impôt
Selon la plupart des chefs d’entreprises que nous avons interviewés et qui ont préféré gardé l’anonymat, il ressort que l’incivisme fiscal se justifie souvent par des arguments peu ou non fondés. Certains estiment qu’il y a beaucoup de triches et rechignent à payer les impôts. D’autres en fin de compte se demandent à quoi sert l’impôt qu’ils payent d’autant plus que dans leur localité, ils ne voient pas de retombés car il n’y a pas d’hôpital, ni d’école… Et donc ils se révoltent contre le système fiscal.
Des raisonnements balayés de revers de mains par Yawo Kassegné, étudiant en Droit des Affaires et Fiscalité à l’Université de Lomé qui affirme que ceux qui ne paient pas pour les services que l’Etat leur fournit devraient être punis. « Les togolais doivent comprendre que c’est de leur devoir de contribuer au financement des biens et services publics tels que les routes, la santé, l’éducation, la sécurité publique, etc. Le fait de ne pas payer les impôts sur leurs revenus constituent un acte rébarbatif et ils doivent être sanctionnés selon la réglementation en vigueur en la matière », souligne t-il.
Pour l’étudiant les incompréhensions liées au non payement des impôts sont dus au fait qu’il y a un manque de sensibilisation des citoyens qui ne se sentent pas concernés par l’impôt. « Donc, une communication allant dans ce sens pourrait les amener à mieux comprendre. Parce que certainement des gens n’ont pas cette culture citoyenne de le faire. Des commerçants et artisans constituent les contribuables privilégiés auxquels l’administration fiscale doit apporter une attention toute particulière. Pour cela, il convient d’organiser à leur endroit des séances d’éducation », dit-il.
Lambert Sogowou, un autre étudiant en Droit des Affaires et Fiscalité à l’Université de Lomé renchérit que les journalistes doivent aussi être associés à cette lutte. « Ceux-ci peuvent servir de ponts entre la population et les administrations fiscales. Pour cela, il convient d’abord de les former sur le bien-fondé des impôts, les motiver de sorte qu’ils traitent souvent les matières fiscales dans leurs développements journalistiques, par exemple chaque mois ou chaque trimestre. L’incivisme fiscal n’est pas toujours délibéré ou conscient, mais est plutôt secrété par le manque d’information. Et ce manque d’information ne peut être comblé que par les journalistes dont le métier est d’informer la population », explique-t-il.
Selon ce dernier , l’école et l’université étant les berceaux même de la formation des futurs cadres du pays, l’administration fiscale doit aussi travailler avec ces entités, afin de sensibiliser les jeunes écoliers et étudiants sur le bien-fondé de l’impôt et le respect de ses obligations fiscales. Il précise qu’en s’inspirant des expériences d’autres pays d’Afrique, les autorités en collaboration avec l’Office Togolais des Recettes (Otr) doivent introduire dans les programmes scolaires, des écoles primaires et secondaires, le cours de civisme fiscal. L’objectif visé, dit-il, « est l’enfant qui est le citoyen de demain, demeure le canal idéal pour transmettre les vertus, cardinales qui doivent forger le comportement recherché chez l’adulte ».
La finalité de l’impôt
En effet, l’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques. La finalité de l’impôt ressort donc des principes des finances publiques qui régissent essentiellement la couverture des charges publiques par les ressources publiques dont les impôts, droits et taxes. Pour aborder efficacement la question de la finalité de l’impôt, nous avons approché M. Phillipe Pilazi , chef division à l’ Office Togolais des recettes (Otr) qui souligne qu’ il est important de dissocier la finalité économique de la finalité sociale de l’impôt.
Office togolais des recettes
Selon M. Phillipe Pilazi, la finalité économique de l’impôt relève de la politique fiscale de l’Etat. Ainsi, précise-t-il, l’Etat peut à travers les incitations fiscales encourager les investissements et la consommation pour une politique de relance économique. « Il peut par la même occasion opter pour une politique de stabilisation qui consiste à encourager l’épargne ou à réduire les revenus à travers les taux d’imposition. La finalité économique en tout état de cause permet à l’Etat de collecter les ressources fiscales afin de couvrir les charges publiques », a expliqué M.Phillipe Pilazi.
S’agissant de la finalité sociale de l’impôt, il affirme qu’elle réside souvent dans les plaintes des populations. « Ces plaintes se résument entre autres, en ces termes : l’Etat doit construire des écoles, créer des emplois, construire des routes pour désenclaver les villages et assurer l’écoulement rapide des denrées agricoles ; nos centres de santé doivent être équipés pour des soins appropriés, les syndicats réclament l’augmentation des salaires etc. », a-t-il précisé.
Afin de relever le défi qu’impose l’accroissement des charges publiques, nombre de pays en développement à l’instar du Togo se lancent dans la mobilisation accrue des recettes fiscales. Pour y arriver, le Togo s’est engagé depuis quelques années dans la transparence fiscale du Forum mondial pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme, le blanchiment, la fraude et l’évasion fiscale qui constituent des manques à gagner en termes de recettes fiscales pour le pays. Depuis la refonte du Code Général des Impôts en 2018, le Togo ne cesse de mettre à jour sa législation fiscale à travers les lois de finances successives pour répondre efficacement aux défis internationaux imposés par l’économie numérique et la pratique des prix de transferts.
Rachel Doubidji